Le travail d’Henri Bouchard s’inspire de l’observation directe de son époque, qu’il restitue avec un réalisme profondément psychologique. Il réalise sa première sculpture de paysan alors qu’il se prépare au concours du Prix de Rome, ce qui témoigne d’un intérêt précoce pour les sujets contemporains et d’un rejet affirmé de l’académisme. Ce choix artistique traduit déjà chez lui un besoin de liberté créatrice et un désir de représenter la vérité sociale de son temps.
Son œuvre monumentale constitue un témoignage sculptural majeur de la réalité sociale de la fin du XIXᵉ et du début du XXᵉ siècle. Elle évoque la condition des artisans, des constructeurs, des paysans et des ouvriers confrontés aux bouleversements de l’industrialisation, dans un système où l’homme en vient à opprimer l’homme.
Cette classe laborieuse, souvent reléguée à l’arrière-plan de la Belle Époque, incarne la face sombre d’une société en mutation. Les années 1880 marquent le début de la mobilisation ouvrière : les travailleurs s’organisent, les syndicats émergent, les grèves se multiplient, et l’idée de « vivre » plutôt que de simplement « survivre » commence à s’imposer. Dans ce contexte social tendu, Bouchard choisit de représenter cette working class avec une sincérité désarmante.
Ses figures, corps courbés et appuyés sur leurs outils, incarnent à la fois la souffrance et la dignité du travail. Ces instruments de labeur deviennent des symboles ambivalents : à la fois outils de subsistance et instruments d’épuisement. Les corps, modelés avec une rigueur naturaliste, expriment la fatigue du quotidien mais aussi la force intérieure nécessaire pour affronter des journées de travail interminables. Aucune idéalisation n’est recherchée : la réalité s’impose, brute et poignante. Les outils, omniprésents, dialoguent avec les visages des ouvriers dont les expressions, esquissées mais intenses, traduisent la lutte silencieuse d’une classe sans protection sociale.
Bouchard avait déjà modelé quelques paysans avant son départ pour Rome :
Les sujets de la vie à la campagne ont accompagné Henri Bouchard tout au long de son existence, bien qu'il ait toujours vécu à la ville, Dijon jusqu'à ses 19 ans, Paris ensuite. Déjà avant son départ à la Villa Médicis à Rome en 1901, il avait fait quelques études en terre cuite ou plâtre arrivées jusqu'à nous :
VENDANGEUR BOURGUIGNON (P 011)
RAMASSEUSE DE GERBE (P 144)
BOTTELEUR (P 273)
HOMME A LA GRANDE FAUCILLE (P 321), très probablement inspirés par les gravures de Millet qu'il admirait (Gravure de Millet - Musée d'orsay)